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La science a jeté quelques pavés dans la cuve des méthaniseurs mardi soir à Guéret, à l’occasion de la conférence de Daniel Chateigner, l’un des fondateurs du Collectif scientifique national méthanisation raisonnable (CSNM), invité par France nature environnement 23.

La méthanisation est-elle une solution pour aider le climat et les agriculteurs ou du greenwashing ? Une question à laquelle s’est employé à répondre par des arguments scientifiques nombreux et détaillés, détachés de l’opinion, Daniel Chateigner, professeur de l’université de Caen Normandie et coordinateur du CSNM.

Ce dernier rassemble trente scientifiques indépendants dans une vingtaine de domaines comme l’agronomie, la microbiologie, la chimie, la géologie ou encore la toxicologie, l’environnement et la médecine. Pour le collectif, la méthanisation est présentée comme « une solution miracle qui n’a, en fait, rien de miraculeux », du moins dès qu’elle s’engouffre dans des dimensions industrielles.

La méthanisation permet-elle de résorber les déchets agricoles ?

La méthanisation semble apparaître comme une solution inespérée aux “déchets” et effluents de l’agriculture, c’est du moins l’argument le plus plébiscité : les transformer en énergie. « Seulement, la biomasse a très peu d’énergie et dans la biomasse digérée, il y en a encore moins », précise Daniel Chateigner, c’est pour cela qu’il faut une quantité d’intrants très élevée pour produire au final très peu de gaz.

« Pour 100.000 tonnes d’intrants, vous allez obtenir 10.000 tonnes de méthane, 6.000 tonnes si vous optez pour l’injection (*) »
Daniel Chateigner (professeur de l'université de Caen Normandie et coordinateur du Collectif scientifique national méthanisation raisonnable)

Pour comparaison, il évoque le rendement pour des intrants issus de biomasse (10 m³ de méthane par tonne d’intrants) et celle d’huile alimentaire par exemple (784 m³ de méthane par tonne).

« On voit qu’en fait, pour avoir un rendement intéressant, on a intérêt à faire de la culture et pas de l’élevage », souligne-t-il, alertant sur le danger que la proportion des intrants ne soit pas respectée. En gros que l’on destine aux méthaniseurs des cultures vivrières plutôt que des effluents « parce qu’il faut que ce soit rentable ».

Ce procédé est-il un cycle vertueux et avantageux pour les agriculteurs ?

Pas vraiment au regard de ce que contient le digestat qu’ils sont censés récupérer : « 80 % de liquide qui est une eau ammoniacale contenant très peu de carbone et beaucoup d’azote et 10 % de lignine et cellulose qui ressemblent à du compost mais sans en avoir les mêmes valeurs. »

Remettre le digestat sur le sol ne compenserait d’aucune manière ce qu’il a perdu en premier lieu.

« Si l'on retire la biomass du sol pour méthanisation, on prive le sol d'une partie de sa vie, du carbone qui lui était destiné »
Daniel Chateigner (coordinateur du Collectif scientifique national méthanisation raisonnable)

Ce digestat très fortement azoté nuit finalement au sol et à son équilibre en l’acidifiant de manière importante. Outre la pollution des sols mais aussi des eaux qui ruissellent que cela entraîne, l’apport excessif d’azote par ces digestats nuit aux cultures (carences, problèmes de croissance, moins bonne résistance aux maladies, etc.).

La méthanisation s’inscrit-elle légitimement dans la réduction des gaz à effet de serre ?

Sans méthaniseur, nous émettons en France 159,5 mégatonnes de CO2 par an. Avec la méthanisation, ce chiffre passe à 166,5 mégatonnes de CO2 par an soit +4 % d’émission de CO2.

« Plus on va méthaniser, plus on va appauvrir les sols, plus il faudra mettre des intrants, et plus on va rejeter de gaz à effet de serre. Laisser la nature faire, c’est la garantie d’avoir moins de gaz à effet de serre puisque le carbone de la biomasse va rester stocké dans le sol », indique le CSNM qui fait une différence fondamentale entre « la neutralité carbone » et « la neutralité climat ».

« Il faut comptabiliser aussi la combustion du méthane. Aujourd’hui, les méthaniseurs créent intentionnellement du méthane et cela les fait entrer en compétition avec d’autres énergies moins émettrices de gaz à effet de serre.
Daniel Chateigner (coordinateur du Collectif scientifique national méthanisation raisonnable)

Pour le Collectif scientifique national méthanisation raisonnable, le photovoltaïque reste l’alternative durable la plus intéressante en termes de rendement énergétique et d’impact sur les gaz à effet de serre. « La méthanisation, c’est 0,03 GWh par hectare, le photovoltaïque, c’est 4,4 GWh par hectare. On pourrait équiper toutes les zones artificialisées avec des panneaux solaires, même des façades. Le problème, c’est qu’il faut le faire ! »

Le gaz issu de la méthanisation permettra à terme de couvrir la consommation de gaz naturel ?

La raison même d’être des méthaniseurs, c’est-à-dire de se substituer à une énergie fossile, ne semble pas être atteignable. « Aujourd’hui, le nombre de méthaniseurs depuis 2019 ne couvre même pas 20 % de l’augmentation de la consommation de gaz naturel, relève le scientifique. Ça veut dire qu’on est loin d’avoir substitué la consommation de gaz par celui issu de la méthanisation. »

Pour y parvenir, il faudrait installer en France « 34.000 méthaniseurs sur des surfaces agricoles utiles », prévoit le scientifique qui met en garde contre le grignotage grandissant des terres agricoles à des fins de méthanisation.

Pour arriver au scénario de neutralité carbone en 2050, l’Ademe a publié il y a quinze jours que la moitié de la surface agricole et un tiers de la surface des forêts seraient nécessaires pour alimenter les méthaniseurs.

« Quand on voit qu’il y a déjà des éleveurs qui ne trouvent plus d’herbes pour nourrir leurs bêtes, imaginez. On en note aujourd’hui une fois tous les trois jours », rappelle Daniel Chateigner. 

« Il faut l'équivalent en biomass de six départements français en biçomasse pour couvrir 10 % de la consommation de gaz naturel ».
Daniel Chateigner (coordinateur du Collectif scientifique national méthanisation raisonnable)

Est-ce rentable ?

Le TRE de la biomasse, c’est-à-dire le taux de retour énergétique, qui est le rapport entre l’énergie libérée (utile) et l’énergie consommée pour permettre cette libération, est en dessous du seuil de rentabilité - 4 - fixé à 7 pour toutes sources d’énergie. Daniel Chateigner a insisté sur le fait que pour produire cette énergie par méthanisation, il fallait nécessairement consommer de l’énergie, notamment dans les étapes d’hygiénisation et d’injection.

« On perd de l’énergie pour quelque chose qui doit nous en faire gagner », résume Daniel Chateigner. Consommatrice d’énergie, la méthanisation l’est aussi d’eau, indispensable au processus et aux Cive, cultures intermédiaires à vocation énergétique (maïs, sorgho, tournesol, avoine, vesce de printemps, pois fourrager), qui complètent les effluents comme intrants. 

(*) Vers le réseau de gaz pour une utilisation extérieurs contrairement à la cogénération où l’énergie produite est utilisée sur place.

 
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