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La méthanisation pète la forme


         Le Canard

 
Professeur Canardeau


C'EST MOCHE, ça pue, ça pollue, ça pète parfois à la figure. Mais ce n'est pas grave ! La méthanisation, c'est magique ! On prend du fumier, de la fiente, des déchets végétaux, on ajoute de l'orge, de l'avoine ou encore du maïs, on laisse fermenter le tout pendant vingt-huit jours, sans oxygène, dans des grosses cuves en béton. Abracadabra, ça devient du biogaz, un mélange de méthane et de gaz carbonique. Ce qui reste au fond de la cuve, le digestat, on va l'épandre dans les champs parce que c'est un superfertilisant. La méthanisation a le vent en poupe comme jamais : 1 565 méthaniseurs déjà en service sur tout le territoire, 124 en construction et 625 en projet ! Ainsi celui prévu à Corcoué-sur-Lognes, près de Nantes, qui aura besoin de 500 000 tonnes de déchets par an. Ou celui de Cérilly, pas loin de Dijon, à plus de 200 000 tonnes par an. Et en plus ça rapporte gros. C'est la ruée vers l'or, et on trouve de tout parmi les porteurs de projets : des agriculteurs, certes, mais aussi des grands groupes comme Total Energies, Veolia, Engie, le danois Nature Energy… Et aussi des maires. Comme celui d'Auneuil, près de Beauvais, Hans Dekkers (sans étiquette), élu voilà deux ans. D'ici à la fin de l'année prochaine, à 1,6 km du centre de ce bourg de 3 000 habitants, va surgir un méthaniseur construit et exploité par la société Biogaz 60 du pays de Bray, qui a été fondée en 2019 et présidée par le maire actuel, jusqu'à son élection.

Cinquante nuances d'engrais

Lequel fait aujourd'hui partie des administrateurs. Parmi les 18 associés de ce projet, on trouve la coopérative Ucac, dont il est également le président. En tant que cultivateur de betteraves, il fournira ses pulpes (résidus) au méthaniseur. Il récupérera aussi le superfertilisant. Quant aux 5,88 ha sur lesquels va être construit le bazar, c'est lui qui a vendu le terrain ! « Et alors ? Rien ne me l'interdit, et je n'ai usé d'aucune influence pour faire avancer le dossier », se défend l'élu, qui le jure : « Ce projet, c'est pour apporter ma pierre à l'édifice contre le réchauffement climatique. » La préfecture de l'Oise, qui a accordé le permis de construire (et n'a pas voulu répondre au « Canard »), n'y a rien trouvé à redire. En revanche, dans le village, ça râle : manifs, tracts, pétition en ligne et arguments forts. Ce projet va se faire au-dessus d'un captage d'eau et sur une zone protégée (une Znieff), il va engendrer une augmentation du trafic, des odeurs, déprécier l'immobilier… Les mécontents reprochent au maire sa discrétion sur le sujet : cinq réunions publiques d'information, dont quatre limitées à 10 personnes ! « On était en pleine épidémie de Covid », plaide l'intéressé. Certains espéraient une enquête publique ? Pour qu'il y en ait une, il faudrait que le méthaniseur avale au minimum 100 tonnes de déchets par jour. Pas de bol, celui-là sera limité à 99 tonnes… Chaque année, le maire et ses amis seront assurés de faire un chiffre d'affaires de 3,5 millions d'euros en revendant le biogaz à GRDF. Tout cela pour un investissement de 10 millions d'euros (80 % financés par les banques). Qui a dit que le réchauffement climatique n'était pas une bonne affaire ?

Méthanisation