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Hausse des charges : il y a de l'eau dans le gaz pour les méthaniseurs !


 — Le   31 décembre 2022


La flambée des charges (notamment de l'électricité) impacte grandement les résultats économiques des unités de méthanisation et pourrait bien ralentir les projets en cours. Alors que faut-il faire ? Éléments de réponses avec l'AAMF.

« La méthanisation a toujours connu des freins, que ce soit du côté administratif, des financements ou encore de l'appropriation locale. L'AAMF travaille en collectif pour trouver des solutions à ces problèmes. Mais aujourd'hui, les agriculteurs méthaniseurs et les porteurs de projets font face à une autre problématique qu'on ne maîtrise pas (ou peu) : la conjoncture. et notamment le prix de l'énergie (au même titre que l'ensemble des milieux professionnels) » C'est ce qu'explique Hélène Berhault-Gaborit, animatrice au sein de l'association des agriculteurs méthaniseurs de France. Focus sur la crise que traverse actuellement la filière :

L'électricité plombe la marge

Accompagnant des projets de méthanisation au quotidien, elle ne peut que constater et lister les hausses de charges : « Déjà, on a la hausse des investissements en lien avec la mise aux normes de l'ICPE sur 2021, et la hausse des matériaux en lien avec la crise sanitaire. Rien que ça, ça fait monter les investissements de 15 à 25 %. »

Vient ensuite l'augmentation des tarifs de l'électricité : les propositions tarifaires ont été augmentées par 20. « Difficile de donner un chiffre moyen quant à la hausse, explique l'animatrice. Tout dépend du contrat par heure de chaque unité, ça peut aller du x 3 au x 10, voire x 20 dans le pire des cas. À titre d'exemple, un agriculteur qui est en contrat heures pleines/heures creuses peut payer 50 €/MWh puis 1 600 €/MWh quelques heures plus tard. » Et quand le prix passe les 400 €/MWh, certains démarrent leur groupe électrogène car c'est plus rentable pour eux que d'être sur le réseau. Un comble !

« Le plus compliqué, c'est pour les mises en service en cette fin d'année car les agriculteurs qui démarrent n'ont aucun historique de consommation pour contractualiser et ils démarrent alors au prix spot très élevé. Parfois, il est plus intéressant de différer le démarrage de l'unité, plutôt que de payer un prix aussi élevé. »

Dès que la facture d'électricité est multipliée par 3, la marge des unités de méthanisation passe à 0 € !

Du côté des intrants les tarifs augmentent aussi : le cours du GNR fait augmenter les prix de récolte des cultures intermédiaires. Autre chose : avec un accroissement de l'usage des déchets (et du nombre de sites de traitement), certaines matières sont devenues payantes alors qu'elles ne l'étaient pas avant (c'était même plutôt l'inverse : les entreprises payaient pour s'en débarrasser).

Sans parler des autres charges d'exploitation en hausse (notamment l'entretien et les consommables), et le problème de disponibilité des pièces de rechange.

Des résultats économiques en berne

On ne va pas passer par quatre chemins : certains projets ne sont plus rentables. La marge est de 0, elle est même négative par endroits. « Il y a des unités de méthanisation en déficit, avec un impact sur l’exploitation ou les exploitations associées, avoue Hélène Berhault-Gaborit. Quand certains porteurs de projets diffèrent le début des travaux ou la mise en service , les unités qui tournent ne peuvent pas s'arrêter à cause des investissements en jeu. On ne peut qu'espérer que la situation s'améliore. »

La filière méthanisation produit et vend aujourd'hui une énergie 3 à 4 fois moins chère que le prix de marché. La consommation énergétique d'une unité de méthanisation ne représente que 10 % de sa production ; elle contribue donc à 90 % pour l'autonomie énergétique du pays. C'est l'achat au prix du marché de ces 10 % qui met la filière en difficulté.

Elle appelle les agriculteurs concernés à ne pas rester seuls : « Des collectifs et groupes d'échanges économiques se montent, rapprochez-vous des groupes d'agriculteurs de votre secteur via l'AAMF. On se soutient, on s'entraide. Et c'est en la jouant collectif qu'on fera avancer notre filière ! »

Contractualiser, économiser et autoconsommer

Difficile de faire face à la hausse du prix de l'électricité. Mais l'animatrice tient à lister les trois leviers essentiels :

Contractualiser : notamment comme cité précédemment sur l'achat de l'électricité (certains se tournent d'ailleurs vers des courtiers pour les aider), et sur les intrants (avec dans l'idéal un maximum d'autonomie).

Diminuer sa consommation électrique : bien que les unités de méthanisation soient bien conçues, il y a parfois de quoi faire quelques économies supplémentaires sur les postes les plus énergivores (sans altérer leur fonctionnement bien entendu).

Autoconsommer : « Cela pourrait passer dans un investissement supplémentaire visant à diminuer la dépendance énergétique des unités : le photovoltaïque. L'idéal serait pour les unités en cogénération d'autoconsommer une partie de l'électricité produite, mais c'est pour l'instant interdit dans la majorité des contrats d'achat (l'AAMF pousse au changement). Il y a aussi pour les méthaniseurs en injection la possibilité de racheter un moteur de cogénération qui transforme du gaz en électricité. Il faut évaluer toutes les pistes. »

Porteurs de projets : mettez à jour votre business plan

Porteurs de projets, ne partez pas en courant après avoir lu les paragraphes précédents ! Hélène Berhault-Gaborit se veut rassurante : « La filière traverse une passe difficile, mais ça n'empêche pas de lancer la réflexion d'un projet (ça n'engage à rien), d'autant plus qu'il se passe en général 3 à 5 ans entre le début de la réflexion et la mise en route d'une unité. D'ici là on l'espère, la conjoncture aura évolué. En plus de la diversification de revenus permise par la valorisation d'énergie, la méthanisation agricole présente de nombreux atouts sur nos fermes : réflexion et diversification des assolements, autonomie en engrais, lutte contre le réchauffement climatique via les Cives notamment... »

« Chaque projet est différent, sa rentabilité dépend de son fonctionnement. Pour ceux qui ont démarré la réflexion, il faut reprendre tous les calculs, ajuster les chiffres poste par poste, et vérifier où en est la marge. C'est avec une mise à jour du business plan qu'un agriculteur sera en mesure de décider de lancer son projet, le mettre en pause ou l'abandonner complètement. »

L'AAMF en attente des pouvoirs publics

« La méthanisation ne trouve pas son intérêt seulement dans la vente d'électricité ou de gaz, elle a bien d'autres avantages pour les agriculteurs et les territoires. Et les annonces du gouvernement vont dans le sens des énergies locales et vertes. Les politiques se disent favorables à la méthanisation. Mais il y a un fossé entre les discours et la réalité du terrain. Exemple : le système d'aide pour les entreprises particulièrement touchées par l'augmentation du coût de l'énergie n'est pas adapté à toute la méthanisation agricole (AAMF demande une rectification des critères). » Pour la jeune femme, c'est toute la filière qui est en colère !

« La plupart des agriculteurs méthaniseurs sont éleveurs. Vous imaginez : ils voient dans leurs fermes les charges augmenter aussi. Mais en face, les prix du lait et de la viande grimpent. Pour la méthanisation, les charges augmentent et les contrats d'achat de l'énergie continuent de diminuer de 0,5 % par trimestre. »

Alors l'association des agriculteurs méthaniseurs poursuit son travail de lobbying auprès des pouvoirs publics. Notamment la défense du bouclier tarifaire, la demande de révision des contrats d'achat, l'autorisation d'autoconsommation. L'AAMF encourage aussi ses adhérents à la structuration des agriculteurs en régions, la circulation de notes pour alerter les députés, élus et jusqu'au Ministère... « On espère que les choses vont bouger. Les charges ont augmenté il y a de nombreux mois alors que nous sommes en attente du niveau du coefficient d'inflation annuel L à paraître le 1er novembre. Les tarifs de rachat devraient augmenter mais à quel niveau ? »

Affaire à suivre donc !


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