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Débat agité sur la méthanisation : de l’eau dans le biogaz ?


  — Aline Nippert — 18 octobre 2022


L'association environnementale de Reichshoffen (HERON) a organisé, jeudi 13 octobre, une conférence-débat sur la méthanisation. À partir de 20 h, la salle des cuirassiers de Reichshoffen a accueilli une cinquantaine de personnes dans une ambiance électrique. « Ça pue ! Quelle idée de mettre ça à l’entrée d’un village », s’est indigné un membre du public.

Ce procédé industriel consiste à dégrader de la matière organique (idéalement des déchets issus de l’agriculture et de l’élevage) par l’action de bactéries (sous 40 à 60 jours), pour valoriser deux sous-produits qui résultent de cette fermentation : un mélange gazeux, composé de méthane et de CO2 (le « biogaz »), et un produit humide riche en matière organique partiellement stabilisée (le « digestat »). Début 2022, plus de 1 300 unités de méthanisation étaient en fonctionnement en France (d’après les chiffres de GRDF), tandis que des collectifs de riverains – dont l’ADEQ de Rittershoffen, co-organisateur de la soirée – s’organisent pour lutter contre l’implantation d’unités de méthanisation dans leurs communes.

C’est Céline Veit, responsable d’équipe énergie et gestion des déchets à la chambre d’agriculture d’Alsace, qui a ouvert le bal, tâchant d’expliquer les vertus de la méthanisation agricole. Dans un second temps, Daniel Chateigner, coordinateur du collectif scientifique national méthanisation raisonnable et physicien cristallographe (un domaine scientifique non lié à la méthanisation), a offert à la salle un contre-argumentaire, en direct de Normandie, émaillé de quelques problèmes de connexion. De nombreuses questions ont été soulevées au cours de plus de trois heures de débat (faut-il accorder des subventions aux porteurs de projet ? Quelle taille optimale pour ces unités ? Est-ce pertinent de demander aux agriculteurs de devenir énergéticiens ? Les contrôles sont-ils efficaces ?) Retour sur les points de tension autour des intrants et des extrants du procédé.

Les biodéchets : en concurrence avec les cultures alimentaires ?

Le premier sujet de discorde concerne les intrants utilisés par les agriculteurs et agricultrices dans les installations de méthanisation. Pour l’Agence de la transition écologique (Ademe), favorable au développement d’une filière de méthanisation (d’après un avis de novembre 2016), il convient de mobiliser les effluents d’élevage et les résidus de culture en priorité. Bonne nouvelle : « Les méthaniseurs alsaciens sont rationnés par des effluents d’élevage (lisier et fumier) à hauteur de 66 % d’après notre enquête », avance Céline Veit. « Ce n’est pas la réalité, tout le monde le sait ! » coupe soudain un homme assis au troisième rang. « Les enquêtés n’ont aucune raison de nous mentir… » tente Céline Veit en guise de réponse.

Pour comprendre la méfiance qui s’exprime ici, un détour par la notion de « pouvoir méthanogène » – la quantité de méthane produit par un substrat organique durant le processus de méthanisation – est nécessaire. « Le lisier fait partie des intrants les moins méthanogènes (autour de quelques mètres cubes de méthane par tonne de lisier) contrairement aux huiles ou aux graisses qui peuvent atteindre quelques centaines de mètres cubes par tonne », explique Daniel Chateigner. Résultat : pour nourrir le digesteur, les agriculteurs et agricultrices sont encouragés à planter des « cultures intermédiaires à vocation énergétique » (CIVE), comme le seigle, la moutarde, le trèfle, l’avoine ou d’autres espèces qui bénéficient d’un bon pouvoir méthanogène.

Dédiées au secteur de l’énergie, ces cultures intermédiaires cristallisent les oppositions. « Les effluents d’élevage sont un prétexte ! La tendance consiste à faire pousser des végétaux à des fins énergétiques », affirme Daniel Chateigner. « Sauf que, grâce aux CIVE, il y a un couvert végétal pendant l’interculture, ce qui limite l’érosion du sol, augmente le stockage de CO2 dans le sol et réduit l’utilisation de phytosanitaires », argumente Céline Veit. « Mais les sols doivent être recouverts ! C’est trop facile de comparer à de mauvaises pratiques [à savoir, laisser le sol nu dans des exploitations agricoles intensives, N.D.L.R.]… rétorque Daniel Chateigner. Nous assistons déjà à un accaparement de la biomasse et de la superficie agricole utilisée (SAU). »

Autre crainte : que les biodéchets des exploitations agricoles locales ne suffisent pas à rassasier les digesteurs. « Certains méthaniseurs vont chercher de la paille à des centaines de kilomètres », assure Daniel Chateigner.

Le biogaz : est-il compatible avec les objectifs climatiques ?

Le « biogaz » suscite également des crispations. Trois débouchés sont envisagés pour ce mélange gazeux : soit il est brûlé pour obtenir de la chaleur, soit il permet de produire de l’électricité (et de la chaleur) via un cogénérateur, soit il est purifié et transformé en biométhane (puis injecté dans le réseau de gaz ou utilisé pour fabriquer du carburant).

Composé de méthane (entre 50 % à 70 %), de CO2 (entre 20 % et 50 %) et de quelques gaz traces (NH3, N2, H2S), l’utilisation de ce biogaz émet certes des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Mais son bilan carbone est considéré comme neutre, car le biogaz est fabriqué à partir de biomasse – donc des plantes qui ont absorbé du CO2 pour croître –, et ne provient pas de ressources fossiles. C’est la raison pour laquelle, du plus sobre au plus technophile, les quatre scénarios envisagés par l’Ademe pour atteindre la neutralité carbone en 2050 (« Transition(s) 2050 ») s’appuient sur la méthanisation pour décarboner le secteur du gaz.

Toutefois, nuance Daniel Chateigner, il convient d’analyser le cycle de vie du processus de méthanisation dans son ensemble, « et de prendre en compte le trafic de camions que génère cette activité et les fuites de méthane inhérentes à sa production, son transport et sa distribution », insiste-t-il. « Sur 1 000 méthaniseurs mesurés, 950 fuyaient à hauteur de 5 % », chiffre Daniel Chateigner. « Oui, il y a des fuites, mais elles sont de l’ordre de 0,3 % », objecte Céline Veit.

L’innocuité du digestat dépend de la nature des intrants

La polémique se poursuit autour du second sous-produit qui sort des méthaniseurs : le digestat. « C’est plutôt de l’“indigestat”, puisqu’il s’agit des résidus de la méthanisation… » ironise le physicien. « Le digestat est un fertilisant organo-minéral, qui permet aux agriculteurs de diminuer d’environ 20 % la consommation d’engrais de synthèse », avance Céline Veit. « Si cette matière est si vertueuse, pourquoi ses producteurs ont-ils de plus en plus de mal à trouver des terres pour épandre les digestats ? » s’interroge Daniel Chateigner.

Deux phases composent principalement le digestat : le digestat liquide, riche en azote ammoniacal (connu pour son action fertilisante), et le digestat solide, comprenant de la matière organique stable, du phosphore, du potassium. « Ce dernier nourrit le sol, comme l’humus », se réjouit Céline Veit. « Ce n’est pas du tout de l’humus ! s’indigne Daniel Chateigner. Au contraire, on vole une partie de la nourriture du sol (qui crée de l’humus) pour méthaniser… » L’innocuité du digestat (solide et liquide) sur les sols et les nappes phréatiques dépend de la nature des intrants.

Autre inquiétude : la forte volatilisation de l’azote ammoniacal. « En se dispersant dans l’air, l’ammoniac s’oxyde et produit du protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre 300 fois plus puissant que le CO2 », développe Daniel Chateigner. Les émissions d’ammoniac, qui contribuent à la formation de particules fines, sont également nocives pour la santé humaine. « Mais les épandages sont réglementés et un machinisme adapté est utilisé (dont l’enfouissement) », soutient Céline Veit.