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Sur vingt ans, le méthane (CH4) réchauffe 80 fois plus vite la Terre que le CO2. Aussi, capturer 75 % des rejets de méthane éliminerait autant de pollution que celle émise par toutes les voitures et tous les camions. Reste à mettre en place la technologie pour y parvenir.

Les États et les ONG vont s’écharper à Dubai (Émirats arabes unis) lors des débats de la COP 28 (du 30 novembre au 12 décembre) concernant la nécessité pour l’humanité de sortir des énergies fossiles. Mais il est un sujet sur lequel ils pourraient au moins tomber d’accord : l’impératif de traquer le méthane expédié dans l’atmosphère par les énergéticiens. En effet, ce carburant, d’une durée de vie de douze ans dans l’air, a un pouvoir de réchauffement 80 fois supérieur à celui du CO sur vingt ans. Ainsi, depuis la révolution industrielle au XIXe siècle, les scientifiques estiment que le méthane est responsable d’un tiers de la hausse des températures sur la Terre. Et pourtant…

En 2022, le secteur de l’énergie a encore envoyé 135 millions de tonnes de ce polluant dans le ciel, soit près de 40 % des émissions attribuables à l’activité humaine. Selon l’Agence internationale de l’énergie (IEA), des puits de pétrole et des pipelines ont relâché 40 millions de tonnes de méthane vers les petits oiseaux. Idem du côté des mines et des installations liées au charbon. Et 40 millions de tonnes se sont également envolées des forages et des installations gazières. Scandaleux quand, déjà, la planète bouillonne !
Pourtant, si, à Dubai, les États avaient le cran de contraindre, avant 2030, les opérateurs d’énergie et de déchets à diviser par deux leurs émissions de méthane, cette décision aurait autant d’impact que de fermer 1 000 centrales à charbon, selon l’Observatoire international des émissions de méthane (Imeo) – initiative du Programme des Nations-unies pour l’environnement. Si ces industriels réinjectaient dans les réseaux de distribution 75 % des 260 milliards de mètres cubes de méthane qu’ils gaspillent en fuites et en torchères, ils réduiraient la hausse de la température de la planète d’au moins 0,1 °C à l’horizon 2050. « Soit un effet similaire à l’élimination immédiate de tous les rejets de gaz à effet de serre de l’ensemble des voitures et des camions, des bus et des deuxroues en circulation », écrit l’IEA. « Il faut le faire, martèle Jean-Marc Jancovici, fondateur du think tank The Shift Project. Dans sa dernière publication, l’organisme professionnel britannique Energy Institute estime que les fuites de méthane et les émissions liées au procédé du gaz [comme sa compression, son acheminement par les pipelines ou, notamment, son torchage] représentent une pollution de 4 milliards de tonnes équivalent CO dans le monde. On ne parle pas de cacahouètes ! »
La bonne nouvelle ? Les producteurs d’énergie et les nations importatrices ne peuvent plus se dérober : ils sont depuis le ciel sous surveillance. En 2022, la Nasa a installé sur la Station spatiale internationale (ISS) des équipements qui détectent les panaches de méthane. Les satellites du canadien GHGSat, de l’Italian Space Agency (ASI), complètent ces données. « Les observations réalisées tous les trois à quatre jours, tout autour du globe, par les satellites européens de la constellation Copernicus ont complètement changé la donne », s’enthousiasme Antoine Rostand, PDG de Kayrros. Sa société retravaille ces images puis les transmet à l’Imeo. « Leur précision de quelques dizaines de mètres permet d’attribuer précisément un rejet à un opérateur », poursuit cet ancien haut cadre de Schlumberger. Copernicus, appelé l’« œil de l’Europe sur la Terre », permet donc de traquer les super émetteurs.

Les pires pollueurs

Nourri de ces données, le rapport « Global Methane Tracker 2023 » de l’Imeo assène trois vérités. D’abord, l’Union européenne, bien qu’elle produise peu d’énergies fossiles, est en première ligne : elle a importé en 2021 des carburants dont la fabrication a dégagé 11 millions de tonnes de CH . Ensuite, si l’Iran, le Turkménistan, le Venezuela et l’Algérie sont les pays qui extraient et transportent le plus salement leur gaz et leur pétrole, les États-Unis et la Russie restent de très loin, en volume, les pays qui rejettent le plus de méthane dans l’atmosphère ! Et pour cause.
Le bassin permien, qui s’étend sur 22 000 km entre le Texas et le Nouveau-Mexique, est en plein boom. En 2023, il devrait produire 5,7 millions de barils par jour. Or cette ruée vers l’or noir et vers le gaz de schiste a été si cupide depuis les années 2000 que ces forages isolés sont responsables de la moitié des fuites de méthane made in USA ! En Russie, les principaux gazoducs ont dégazé tant de CH depuis 2019 que ces fuites observées depuis l’espace dessinent leurs tracés ! Enfin, la Chine pollue tellement avec ses mines de charbon que, lorsque les nuages du Shanxi se dissipent, les satellites captent le méthane qui s’échappe des grilles d’évacuation des galeries minières. Vous sentez la moutarde – ou plutôt ce CH à l’odeur d’œuf pourri lorsqu’il vous est livré en ville – vous monter au nez ?
Il est temps d’agir. Il existe des méthodes pour capter ce gaz. Avec les technologies existantes, sur les 135 millions de tonnes émises dans le monde, on pourrait en neutraliser 95. La preuve ? Régulièrement réparées, les installations norvégiennes relâchent 100 fois moins de méthane que les pires pollueurs. Autre pratique à généraliser : lorsque les mines de charbon désaffectées ont été bouchées – comme c’est le cas en Lorraine –, on peut récolter leur grisou pour produire de l’électricité ou le réinjecter dans les réseaux urbains. Une fois captée, une partie du gaz (42 %) peut même être éliminée sans surcoût : revendue, elle rapporterait assez d’argent pour financer les investissements nécessaires à sa capture. Et, en plus, il n’y aurait plus à brûler ce gaz dans les torchères, émettrices de CO . Une façon de gagner sur plusieurs tableaux. Autre raison d’agir : la quasi-totalité des pollutions émises par les industries pétrolières et gazières pourrait être captée en dépensant moins de 100 milliards de dollars. Soit à peine 3 % de leurs bénéfices en 2022 !

Limiter les dégâts

Lors de la COP 26 à Glasgow, en 2021, 150 pays ont accepté de réduire leurs émissions de méthane de 30 % en 2030 par rapport à celles de 2020. Les États-Unis ont bougé dès 2022. Le président Joe Biden a réservé, dans son Inflation Reduction Act, 1,5 milliard de dollars de soutien aux investissements diminuant les pollutions de méthane. Une carotte, assortie d’un bâton : dans le même temps, le gouvernement fédéral a décidé de taxer les industries de 900 dollars par tonne de méthane relâchée dans l’atmosphère en 2024. Les États-Unis vont également aider le Turkménistan à juguler ses invraisemblables pollutions de CH , et refermer ses « portes de l’enfer » : un cratère rougeoyant né de l’effondrement d’un forage lancé par des scientifiques russes qui brûle depuis 1971. Premier émetteur de méthane avec 14 % des rejets, la Chine vient de déclarer qu’elle tentera de capter, dès 2025, 6 milliards de mètres cubes de gaz qui s’échappent de ses mines de charbon. Et améliorera « significativement », assure-t-elle, la surveillance de ses rejets avant 2030. Enfin, le 16 novembre, les négociateurs de l’UE ont trouvé un accord politique qui devra être approuvé par le Parlement, à Strasbourg, et les ministres compétents des États membres. Il contraint les énergéticiens à mesurer leurs émissions de méthane au-delà d’un gramme, à réparer leurs fuites et à ne plus brûler de gaz dans les torchères. Surtout, ces obligations s’étendront en 2027 aux importateurs d’énergie dans l’UE. Gageons que la pression des opinions publiques sera nécessaire pour conserver ce cap !

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