Pourquoi ce scientifique défend une méthanisation raisonnable
Pourquoi ce scientifique défend une méthanisation raisonnable
Le 15 janvier 2022
Que signifie une méthanisation raisonnable pour votre collectif ?
Daniel Chateigner : Si nous avons de vrais déchets et que nous les utilisons pour produire de l’énergie, il n’y a pas de mal à cela. Et cette énergie, nous l’utilisons dans un circuit le plus court possible. Si on compare la méthanisation actuelle telle qu’elle est promue et ces deux conditions fondamentales, on s’aperçoit qu’on va complètement à l’opposé. Il n’y a plus rien de raisonnable !
En France, les projets semblent rencontrer de plus en plus souvent des oppositions ?
Il y a aujourd’hui plus de 250 associations ou collectifs de riverains contre des installations en fonctionnement qui créent des problèmes ou bien des projets. Ces gens voient arriver une unité près de chez eux, ils lisent et voient que des gens sont confrontés à des nuisances.
« Ne faudrait-il pas mieux réfléchir à plusieurs méthaniseurs locaux ? »
En quoi le projet de MéthaHerbauges, à Corcoué sur Logne, vous paraît inconcevable ?
Imaginons que l’on construise à Corcoué un méthaniseur qui produise du gaz pour l’ensemble du monde, quels vont être les mouvements de tracteurs et camions pour l’alimenter ? Il faudra faire 20 000 km pour ramener des intrants et le gaz devra être distribué sur l’ensemble de la planète. Quand on pose cette question aux limites, on voit directement que ce n’est pas raisonnable. Nous ne sommes pas dans ce cadre, mais on est parti de petit méthaniseur pour lesquels la réflexion des agriculteurs était sensée, car ils avaient trop d’effluents, à des dimensions où l’on va chercher des intrants à plus de 50 km. Ne faudrait-il pas mieux réfléchir à plusieurs méthaniseurs locaux, avec des coûts beaucoup moins importants ? On a pris ce prétexte de se regrouper pour être plus efficace. En réalité, ces projets font qu’il faudra faire pousser de la biomasse exprès pour méthaniser. Ce n’est pas résorber des déchets, mais créer des pseudo-déchets.
Les opposants doutent souvent que l’apport de cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cives) soit limité à 15 % ?
On peut douter, car qui ira vérifier sur les 500 000 tonnes ? On voit bien que les services environnementaux ont du mal à suivre, ayant moins de fonctionnaires pour les contrôles. On ne voit pas comment une société qui a engagé des fonds dans une grosse usine ne va pas tout faire pour en récupérer le maximum. Faire pousser de la biomasse dont on ne retire que très peu d’énergie, c’est complètement à l’encontre de tout bénéfice environnemental. Les Cives ne sont pas limitées en tonnage. Certains projets ne fonctionnent qu’avec ces cultures. Vous voyez la dérive…
« L’énergie la plus verte, c’est celle que l’on ne consomme pas »
Qu’est-ce qui vous inquiète le plus dans ce modèle géant ?
À terme, nous allons appauvrir les terres. Pas demain, ni après-demain, mais sur 10 ou 20 ans. Les terres se sont déjà appauvries à cause d’une intensive agriculture, c’est mesuré. Il y a de moins en moins de jachère, le sol ne se repose plus. Il n’y a pas de systèmes qui s’enrichissent parce qu’on les fait produire plus. Ce n’est pas possible. L’énergie la plus verte, c’est celle que l’on ne consomme pas.
Face à ces arguments, les agriculteurs participant au projet semblent avoir le sentiment d’être remis en cause dans leur manière de travailler ?
Nous ne sommes pas là pour critiquer qui que ce soit, nous sommes là pour observer. Nous ne jetons pas la pierre aux agriculteurs. Mais quand on voit aujourd’hui 640 000 € par emploi direct versés en subvention à la construction des méthaniseurs, nous disons attention. Ces emplois ne sont pas durables, car les méthaniseurs ne sont pas durables. Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux profiter de toute cette manne de subvention pour inciter les agriculteurs à aller vers des pratiques vertueuses ?
« Partout où il y a des méthaniseurs, il y a des pollutions aquatiques »
Selon vous, quels pourraient être les risques d’une telle installation ?
En Bretagne par exemple, il y a de nombreuses pollutions de cours d’eau à cause de bâches ou réserves de lisiers qui percent ou directement à cause de l’épandage de digestats. En Belgique, au Luxembourg, c’est la même chose, en Italie, Allemagne ou Suisse, idem. Partout où il y a des méthaniseurs, il y a des pollutions aquatiques. C’est inhérent au fait que ce soit une usine. C’est ce que nos sénateurs appellent la culture du risque.
Votre collectif et vous-mêmes êtes parfois accusés de faire du lobbying pour l’énergie nucléaire. Quelle est votre réaction ?
J’ai été classifié pronucléaire effectivement. Je peux vous dire « faites comme moi, signez la pétition Sortons du nucléaire ». N’empêche que demain, si on arrête le nucléaire, je ne vois pas comment on vit. Il faut sortir intelligemment du nucléaire et cela ne se fera pas du jour au lendemain. Il faut éduquer les gens à moins consommer nos ressources. L’éolien et le photovoltaïque font leur part. Même s’il y a aussi des soucis avec ces technologies, l’énergie renouvelable, c’est le vent et le soleil. Il ne faut pas faire croire que la méthanisation est une énergie renouvelable, car elle épuise le sol et renvoie beaucoup plus de CO2 dans l’atmosphère que le gaz naturel par exemple.