Skip to main content

Des fuites massives de méthane dans l’industrie pétrogazière


  Le Figaro le 4 février 2022


Ces émissions de gaz sont dues à des avaries ou à des opérations de maintenance, selon une étude française parue dans la revue « Science ».

Colmater les fuites de l’industrie du gaz et du pétrole suffirait à réduire significativement les émissions de méthane. Dans une étude parue le 3 février dans la revue Science, une équipe internationale pilotée par le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement de Paris-Saclay a pour la première fois dressé un inventaire plus précis des rejets massifs de ce puissant gaz à effet de serre (GES), qui surviennent principalement sur les réseaux de production et de transport d’hydrocarbures.

Historiquement moins pointé du doigt que le dioxyde de carbone, le méthane (CH4) est depuis peu dans le collimateur des politiques de réduction des émissions de GES. Car s’il reste moins longtemps dans l’atmosphère que le CO2 (environ 10 ans contre au moins un siècle) son pouvoir de réchauffement sur 100 ans est environ 30 fois supérieur. Ses sources, d’origines humaines (agriculture, traitement des déchets, extraction des énergies fossiles…) ou naturelles (zones humides, etc.) sont diverses, ce qui le rend plus compliqué à «tracer».

« On n’avait jamais eu un décompte des très grosses fuites. Et on n’avait pas réalisé à quel point elles comptent dans les émissions globales »

Thomas Lauvaux, chercheur au LSCE et coauteur de l’étude

Les chercheurs du LSCE ont ainsi voulu quantifier plus précisément les émissions du secteur gaz et pétrole, qui représente à lui seul un quart des émissions anthropiques de CH4. En collaboration avec l’entreprise française Kayrros, spécialisée dans l’analyse de données et de l’observation de la Terre, ils ont ainsi collecté entre 2019 et 2020 des milliers d’images produites chaque jour à travers le globe par le satellite Sentinel-5P de l’Agence spatiale européenne. Ces données leur ont permis de cartographier 1800 panaches massifs de méthane, dont 1200 proviennent de l’exploitation d’hydrocarbures. «On n’avait jamais eu un décompte des très grosses fuites (plus de 5 tonnes par heure). Et on n’avait pas réalisé à quel point elles comptent dans les émissions globales», relève Thomas Lauvaux, chercheur au LSCE et coauteur de l’étude. «Les opérationnels dans l’industrie du pétrole et du gaz nous disaient toujours que ces événements étaient extrêmement rares. On a donc été très frappé par leur fréquence», abonde Antoine Rostand, PDG de Kayrros.

Rejets accidentels ou volontaires

Les chercheurs estiment ainsi que ces «fuites», qui se produisent surtout en Russie, aux États-Unis, au Turkménistan, en Algérie ou en Iran, ont un impact climatique comparable à celui de la circulation de 20 millions de véhicules pendant une année entière. Elles peuvent provenir de rejets accidentels (une valve qui casse, une torchère qui ne fonctionne plus ou une avarie au niveau des compresseurs qui projettent le gaz dans les tuyaux) ou volontaires, dus à des opérations de maintenance: «Ils vident le gaz pour réparer le matériel et laissent les tuyaux ouverts pendant des heures, explique Thomas Lauvaux. Au Turkménistan, certaines fuites sont quasi permanentes: il peut s’agir par exemple d’une torchère qui ne fonctionne plus, et qui n’est pas réparée.»

Ces émissions ne sont que la partie émergée de l’iceberg, ajoute le chercheur, le satellite n’étant capable de détecter que les fuites les plus massives. «On sait que quand il y en a de cette ampleur, il y en a aussi des plus petites: c’est un indicateur pertinent de la qualité du réseau et des opérations qui y sont menées», note Antoine Rostand.

Suffisant pour faire bouger les lignes?

Il serait ainsi possible de réduire les émissions mondiales de CH4 de 2 à 3 % rien qu’en résorbant ces fuites, une atténuation «largement réalisable à faible coût», qui «entraînerait des avantages nets considérables, se chiffrant en milliards de dollars», concluent les auteurs de l’étude. Pour le Turkménistan par exemple, ils estiment ce gain à 6 milliards de dollars net en mettant dans la balance d’un côté le coût des réparations nécessaires, de l’autre le prix du gaz économisé et le coût climatique et social de ces émissions de méthane, selon les critères définis par les experts du Giec.

Documentation