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Sur la principale bourse d'échange européenne, le prix du gaz naturel a chuté à moins de 30 euros le mégawattheure (MWh) en ce début d’année 2024, soit un montant proche des niveaux d'avant-crise. Pourtant, la guerre en Ukraine se poursuit et plusieurs conflits, au Moyen-Orient notamment, affectent le commerce international. Alors, d’où cette accalmie provient-elle, et va-t-elle durer ?

La crise de l'énergie est-elle bel et bien terminée, malgré la poursuite de la guerre en Ukraine et la multiplication de conflits affectant le commerce international, notamment en mer Rouge ? Alors même que les navires qataris transportant du gaz vers le Vieux continent s'éloignent du canal de Suez, empruntant une route plus longue et coûteuse, les prix de ce combustible fossile continuent de chuter sur le marché européen. Même la vague de froid, qui dope habituellement les cours en raison d'une hausse anticipée de la demande, ne semble pas enrayer la tendance. Au point que ceux-ci retrouvent désormais leurs niveaux d'avant-crise, sans pour autant que les livraisons de gaz russe, premier fournisseur de l'Europe avant 2022, n'aient repris.

En effet, sur la principale bourse d'échange européenne, appelée TTF (Title Transfer Facility), le prix de cet hydrocarbure a chuté à 28 euros le mégawattheure (MWh) ce 19 janvier 2024. Soit loin des 55 euros/MWh de novembre 2023, mois à partir duquel la baisse a été quasi continue. Pour rappel, fin août 2022, un pic avait été atteint avec 277 euros/MWh, avant que les cours ne fluctuent entre 80 et 50 euros/MWh pendant toute l'année 2023.

Mieux : sur le marché à terme, où les transactions sont établies pour une livraison dans le futur (de 3 mois à 5 ans plus tard, avec un prix fixé au moment de la signature du contrat), la situation se normalise. En effet, jeudi 18 janvier, 1 MWh de gaz livré en février ou mars 2024 s'échangeait à moins de 29 euros. Pour l'hiver 2025, il fallait compter 33,5 euros/MWh, un montant proche des niveaux connus avant 2021. En comparaison, fin 2022, en pleine tempête, un MWh de gaz commandé pour le premier trimestre de 2023 s'échangeait à...144 euros. « On ne s'attendait pas du tout à un tel retournement de situation il y a un an », glisse à La Tribune un analyste des marchés de l'énergie.

Chute de la consommation

Mais pourquoi une telle accalmie ? Comme pour l'électricité, celle-ci vient d'abord de la baisse frappante de la demande de gaz, qui rassure les marchés en dépit des tensions sur l'offre. « La consommation de gaz de l'UE a diminué de 8% sur un an. D'avril à juin 2023, [celle-ci] a encore diminué (à 65 milliards de mètres cubes) et est restée inférieure à la fourchette de consommation quinquennale de 2017 à 2021 », notait le 7 décembre la Commission européenne dans son rapport trimestriel sur le marché du gaz.

Un mois plus tôt, en novembre 2023, l'exécutif bruxellois avait d'ailleurs fait savoir que les Vingt-Sept avaient réduit leur demande de gaz de 18% par rapport à la moyenne des cinq dernières années, pour des raisons « en grande partie structurelles ». A la fin du mois, l'Agence internationale de l'énergie enfonçait le clou : la crise ukrainienne a « marqué un tournant » pour la consommation de gaz en Europe, qui « devrait encore baisser » davantage, affirmait alors l'organisme dans une publication.

« Dès lors, le marché s'est vraiment détendu, car personne n'avait anticipé une chute pareille », commente Nicolas Leclerc, cofondateur du cabinet de conseil en énergie à destination des entreprises et collectivités Omnegy.

Selon les chiffres de l'institut Bruegel, par rapport à la période 2019-2021, l'utilisation de gaz en Europe a ainsi plongé de 12% en 2022, puis de respectivement 18% et 20% au premier et au second semestre de 2023. Pour rappel, en juillet 2022, les États membres avaient convenu de réduire volontairement leur recours à ce combustible fossile entre août 2022 et mars 2023, de 15% par rapport à la moyenne quinquennale - un objectif dépassé, donc.

Moins de demande industrielle

Difficile, néanmoins, d'en identifier précisément les causes. D'autant que celles-ci semblent varier d'un pays à l'autre : alors qu'en septembre 2023, la demande de gaz de l'Europe a été 22% moins importante que la moyenne 2019-2021, cela tenait principalement à la baisse de consommation des ménages en Allemagne (-43%, contre -25% en France), alors que dans l'Hexagone, la raison principale était la chute de l'utilisation du gaz dans la production d'électricité (-46%, contre -16% outre-Rhin). Et pour cause, ces derniers mois, les Allemands ont mis en place des mesures pour électrifier à marche forcée le chauffage des logements, encore largement dépendant des hydrocarbures. Tandis que la France, de son côté, a pu davantage compter sur son parc nucléaire pour lui fournir du courant bas carbone, après les déboires connus en 2022.

Reste à savoir si une destruction de la demande industrielle s'est également produite. Selon les chiffres de Bruegel, celle-ci a effectivement diminué, de 22% en moyenne en septembre 2023 par rapport à 2019-2021 (-19% en France, - 25% en Allemagne). Il semble néanmoins compliqué, à ce stade, de distinguer ce qui a relevé d'une meilleure efficacité énergétique (n'affectant pas la production), et ce qui pourrait s'apparenter à de la « destruction de demande » (les industriels qui ralentissent ou arrêtent des chaînes de production parce que l'énergie devient trop chère ou trop volatile).

Course au gaz naturel liquéfié

En second lieu, la détente provient, en toute logique, de l'offre : privés de l'approvisionnement de gaz russe par le principal pipeline, Nord Stream (et son successeur Nord Stream 2 sur lequel comptait énormément Berlin), les Vingt-Sept se sont rués sur le gaz naturel liquéfié (GNL) acheminé par navire des quatre coins du monde plutôt que par tuyau. Or, cette course continue à un rythme effréné, rassurant les marchés. « En 2023, l'UE était le plus grand importateur de GNL au monde avec une part de 22% des importations mondiales de GNL au 2e trimestre, devant la Chine (18%) et le Japon (15 %) », note ainsi la Commission dans son rapport de décembre susnommé. En effet, les exportations américaines de GNL ont atteint des records en 2023, au point de détrôner le Qatar au niveau mondial. Et explosent toujours ces dernières semaines, malgré l'impact environnemental délétère de ces cargaisons.

Par ailleurs, les réserves souterraines de gaz de l'Europe, qu'elle pourra mobiliser si besoin, restent à un niveau élevé. En effet, le taux de remplissage s'élève à 77,5% au 19 janvier, selon les données de Gas Infrastructure Europe, contre 44% à la même période en 2022. Il faut dire que l'une des mesures immédiates à la suite de l'invasion de l'Ukraine été d'augmenter ces réserves afin de garantir un approvisionnement suffisant. À cette fin, les pays de l'UE, au sein du Conseil, avaient adopté en juin 2022 un règlement pour garantir que les capacités de stockage soient remplies avant les mois les plus froids.

Le plafonnage des prix de l'UE n'a pas permis l'accalmie

Une question demeure : cette embellie va-t-elle durer ? Impossible de l'affirmer au vu des incertitudes géopolitiques, que ce soit au Moyen-Orient ou en Ukraine. Une chose est sûre : au plus fort de la crise, ce ne sont pas les rustines politiques comme la promesse de l'UE de plafonner les prix du gaz qui ont permis une accalmie. Mais plutôt les mesures de fond portant sur une baisse de la demande et une augmentation de l'offre, qui devraient d'ailleurs s'inscrire dans le temps.

Fin 2022 en effet, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait promis de plafonner le TTF puis d'en sortir, en affirmant qu'un nouvel indice de référence le supplanterait « fin mars 2023 » afin de « mieux refléter les prix ». « Ce n'est pas en changeant le thermomètre qu'on pourra faire baisser la température. Le problème de base, c'est qu'il y a un risque de demande supérieure à l'offre », avait alors affirmé à La Tribune un fournisseur de gaz ayant requis l'anonymat, dénonçant un « effet d'annonce ». Un an plus tard et alors que le TTF n'est plus remis en cause, l'histoire lui a donné raison.

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