Accéder au contenu principal

Sauver le gaz dans un monde sans énergies fossiles, la bataille de GRDF


| La Tribune | News

| La Tribune | News

Pour le gestionnaire du réseau de distribution du gaz en France GRDF, l’avenir ne s’écrira pas sans cette molécule, indispensable à la transition énergétique du pays. Celui-ci mise donc sur les « gaz verts », qui devront atteindre 20% du total injecté en France en 2030, contre 15% selon le gouvernement. Aujourd'hui cependant, ce chiffre flirte avec les 2%.

Comment défendre le rôle du gaz, une source d'énergie majoritairement fossile et émettrice de CO2, en ces temps d'urgence climatique ? En promettant de le rendre « bas carbone », répond GRDF. Le principal gestionnaire du réseau de distribution du gaz en France, filiale d'Engie, a en effet dévoilé jeudi un plan « ambitieux » de décarbonation de la fameuse molécule d'ici à 2030, qu'il assure être compatible avec l'accord de Paris de 2015 (consistant à limiter la hausse des températures bien en-deçà de +2°C, si possible +1,5°C, d'ici à la fin du siècle). Avec un objectif clair : ne pas perdre trop de terrain face à l'électricité, souvent brandie comme une solution clé-en-main pour se détourner des hydrocarbures polluants.

Le groupe mise ainsi largement sur les « gaz verts », qui devront atteindre 20% du total injecté dans les réseaux d'ici à 2030, contre 2,5% aujourd'hui, a souligné sa directrice générale, Laurence Poirier-Dietz. Ce qui reviendrait à incorporer 60 térawattheures (TWh) de ces molécules renouvelables dans les tuyaux à la fin de la décennie...soit 5 fois plus qu'actuellement ! Mais concrètement, de quoi parle-t-on, et est-il vraiment possible d'y parvenir ?

Fermentation des matières organiques

En l'état, ce « gaz vert » renvoie principalement au biométhane, ou biogaz, c'est-à-dire le produit de la fermentation de matières organiques issues notamment du milieu agricole (fumier, résidus de culture), mais aussi forestier, urbain (boues, restes alimentaires) ou industriel.

Rien à voir donc, en termes d'impact, avec le gaz « naturel » que l'on utilise aujourd'hui pour se chauffer, et qui résulte de l'exploitation d'hydrocarbures (autrement dit, la méthanisation d'éléments vivants enfouis depuis plusieurs millions d'années, et dont l'extraction par l'homme libère par là-même des gaz à effet de serre). Car le biogaz, lui, provient principalement de la transformation d'effluents agricoles ou de déchets de culture, incorporés dans de grosses cuves appelées « méthaniseurs ». Ainsi, selon GRDF, tandis que le gaz naturel émet 227 grammes de CO2 par kilowattheure sur l'ensemble de son cycle de vie, le biométhane n'en émet que 44 grammes.

Or, celui-ci peut répondre aux mêmes usages que ceux du gaz fossile (CH4), puisqu'il n'en diffère que par son origine. Ainsi, nul besoin d'adapter la chaudière, ni même le réseau pour en incorporer, contrairement à l'hydrogène, dont l'injection pose de sérieux défis. Cette solution paraît donc idéal sur le papier : produite localement, renouvelable, inscrite dans une économie circulaire et peu émettrice de gaz à effet de serre sur l'ensemble de son cycle de vie, une telle source d'énergie pourrait, a priori, répondre aux nouvelles exigences de « souveraineté énergétique » martelées par l'exécutif européen, tout en limitant les rejets de CO2.

Un décret attendu de pied ferme

Surtout, les choses semblent d'ores et déjà bien engagées, s'est félicitée jeudi Laurence Poirier-Dietz : alors que la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), la feuille de route de l'Etat en la matière, tablait sur une production 6 TWh de biométhane en 2023, « on a atteint 12 TWh à la fin de l'année », s'est réjouie la directrice générale du groupe ce jeudi. Soit « l'équivalent de la production de deux réacteurs nucléaires », a-t-elle affirmé, avec plus de 740 sites de production raccordés, dont 652 chez GRDF.

« Nous sommes complètement confiants sur la capacité à faire fois cinq d'ici à 2030. Nous disposons d'une base très solide avec la filière agricole, qui trouvera réponse aussi des réponses dans sa décarbonation grâce à la méthanisation », a-t-elle ajouté. 

Il n'empêche : le gaz renouvelable représente toujours une goutte d'eau dans l'océan fossile. D'ailleurs, ladite PPE, toujours en vigueur, avait revu les objectifs à la baisse sur le sujet, avec une cible 7% de biométhane dans la consommation totale de gaz d'ici à 2030... alors que la loi de transition énergétique pour la croissance verte prévoyait en 2015 un objectif cible de 10% à ce même horizon. Un « signal très mauvais », regrettait en mai 2022 le directeur général du gestionnaire de l'autre réseau de transport de gaz Teréga. Enfin, le gouvernement mise sur des objectifs moins ambitieux que ceux de GRDF : en novembre, celui-ci annoncé vouloir doubler son objectif de biométhane, mais pour atteindre 15% de la consommation totale de gaz d'ici à 2030 « seulement » (soit 44 TWh), une cible qu'il jugeait déjà « ambitieuse ».

Pour autant, le mouvement devrait bientôt s'accélérer. En 2021 en effet, le gouvernement a voté une loi obligeant les fournisseurs de gaz naturel à produire eux-mêmes un certain volume de biométhane où à en financer en achetant des certificats auprès de producteurs, à travers des certificats de production de biogaz (CPB). L'objectif : développer le financement privé de la filière en complément des soutiens publics actuels. Or, l'exécutif doit encore - bientôt, espère GRDF - publier un décret pour spécifier les volumes de biogaz concernés, attendu de pied ferme par la filière.

« Celui-ci va donner les quantités de biogaz que les fournisseurs vont devoir acheter au prorata de leur consommation [...] C'est un pilier important », a insisté Laurence Poirier-Dietz.

Du gaz pour faire face aux pointes électriques

Il faut dire que GRDF a tout intérêt à défendre cette industrie. Depuis quelques mois, l'entreprise mène une bataille de communication pour défendre la chaudière à gaz, alors que le gouvernement incite les Français à passer à l'électrique. Comme au Salon de l'Agriculture, il y a quelques semaines, où l'entreprise faisait valoir ses vues sous couvert de pédagogie. « Dois-je changer de chaudière si je choisis le gaz vert [issus de la méthanisation des matières agricoles, ndlr] ? », pouvait-on lire dans son stand. « La chaudière qui fonctionne aujourd'hui au gaz naturel est 100% compatible au gaz vert, sans aucune adaptation », répondait sans ambages une vignette affichée au mur...sans préciser qu'il ne s'agissait que de 2% du gaz injecté au total.

La raison est simple : plus les Français basculent vers l'électrique, plus les coûts fixes de GRDF augmentent. En deux ans d'ailleurs, le nombre de ménages raccordés au gaz naturel a chuté de près de 10%, ce qui a mécaniquement gonflé la contribution de chacun d'entre eux pour se partager le coût de l'entretien des 200.000 kilomètres de canalisation. Résultat : après quatre années de quasi stabilité, le tarif du réseau augmentera de 27,5% sur la période 2024-2027, a fait savoir en février la Commission de régulation de l'énergie (CRE), l'autorité administrative chargée de fixer les tarifs des réseaux publics de gaz.

« Pour limiter cette hausse, la CRE nous demande de réaliser une centaine de millions d'euros d'économies », précise-t-on chez GRDF.

« Le nombre de clients n'a pas vocation à baisser particulièrement », a d'ailleurs clarifié ce jeudi Alexis Masse, directeur de la stratégie chez GRDF. « En 2050, nous aurons toujours besoin de gaz », a surenchéri Laurence Poirier-Dietz. Pour ce faire, GRDF sait d'ailleurs agiter la peur du « black-out » électrique. Et de citer l'« exemple du 10 janvier  » : alors qu'il faisait froid, la production d'électricité seule n'aurait pas suffi à couvrir le pic de demande, a affirmé la directrice générale du groupe. « Ce qui prouve que la résilience du système sur les pointes se fait grâce au vecteur gaz », a-t-elle insisté. Une rhétorique bien étudiée.

Le Vrai du Faux