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Production de biogaz : la trajectoire n’est pas bonne, alerte l'Etat


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Le Secrétariat général à la planification écologique juge la cible de 44 térawattheures de biométhane injectés dans le réseau à l'horizon 2030 « très ambitieuse » au regard du rythme de développement des méthaniseurs, qui connaît un véritable trou d'air. L'organe, placé sous la houlette du Premier ministre, ne remet pas en cause cette cible, mais questionne le modèle français, caractérisé par des petites installations plus coûteuses.

La filière gazière, qui parie énormément sur la production de biométhane pour se verdir, réussira-t-elle à tenir ses promesses ? Dans une nouvelle publication intitulée « Bouclage biomasse : enjeux et orientation », le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) et les modélisations provisoires de la DGEC anticipent un déficit de 11 térawattheures (TWh) de ressources économiquement exploitables à l'horizon 2030 par rapport aux besoins identifiés pour produire les objectifs de biométhane au regard des politiques publiques actuelles et du peu de temps restant. « Il y a de gros efforts à mener en matière de conduite du changement », pointe Frédérik Jobert, secrétaire général adjoint à la planification écologique, en évoquant les pratiques d'assolement ou encore les rotations agricoles.

Par ailleurs, le SGPE juge la cible de 44 TWh de biométhane injectés dans le réseau à l'horizon 2030 « très ambitieuse ». « Nous ne sommes pas sur la trajectoire attendue pour atteindre l'objectif de 2030 », constate Frédérik Jobert. Pour rappel, la filière était parvenue à dépasser l'objectif de 6 TWh injectés en 2023, en atteignant 9,1 TWh à cette échéance. Mais parvenir aux 44 TWh suppose d'ajouter, chaque année, 5 TWh de capacités d'injection supplémentaires. Un rythme jamais atteint.

Une cible de biométhane injecté « très ambitieuse », mais pas remise en cause

« Il n'y a pas de remise en cause du soutien public au biométhane, ni de cet objectif de 44 TWh, précise-t-il d'emblée alors que le sujet est très sensible parmi les acteurs gaziers. Mais, nous observons factuellement que le rythme d'installation de nouveaux méthaniseurs n'est pas au niveau » ajoute-t-il, en invitant la filière « à ne pas mettre la tête dans le sable ». En effet, après avoir connu une progression exponentielle, passant de 0,2 TWh en 2016 à 2,6 TWh en 2021 (soit une multiplication par plus de dix en cinq ans), les nouvelles capacités d'injection de biométhane raccordées au réseau connaissent un net coup d'arrêt. Après avoir stagné en 2022, puis légèrement baissé en 2023, elles devraient dégringoler sur l'année 2024, puisqu'elles ne s'élevaient qu'à 0,5 TWh en juin.

GRDF, le gestionnaire du réseau de distribution de gaz, justifie ce fort ralentissement par un trop faible niveau du prix d'achat du biogaz, garanti par le gouvernement. « Mais la revalorisation de ce prix a permis de relancer la filière », assure Sabrina Dupuis, déléguée stratégie chez GRDF, sans toutefois partager les projections des nouvelles capacités à court terme. Ce trou d'air devrait néanmoins s'observer encore plusieurs années étant donné qu'un projet de méthaniseur met en moyenne 3 à 4 ans à voir le jour.

Trou d'air dans le développement des méthaniseurs

Par ailleurs, malgré l'alerte du SGPE, le gestionnaire reste catégorique : « Nous pensons que la cible des 44 TWh de biométhane injectés en 2030 est atteignable. Et sur l'ensemble de la filière des gaz verts, nous visons bien plus », affirme Sabrina Dupuis. Dans le détail, GRDF vise 50 TWh de biométhane injectés, 6 TWh de gaz produits à partir de pyrogazéification et 2 TWh supplémentaires grâce au processus de gazéification hydrothermale. Soit un total de 58 TWh de gaz verts.

Pour atteindre cette cible, la filière appelle à davantage de visibilité et de stabilité. Elle mise aussi énormément sur les certificats de production de biogaz, les fameux CPB, qui ont vu le jour via la publication d'un décret au début du mois, après quasiment quatre ans d'attente. Leur principe ? Favoriser le développement de méthaniseurs en augmentant les débouchés des producteurs de biométhane. Et ce, en obligeant les fournisseurs de gaz à constituer une partie de leur portefeuille de ce gaz vert. « Cette nouvelle dynamique devrait nous permettre de tenir les objectifs », rapporte un acteur du secteur. Ce mécanisme doit ainsi permettre d'accompagner l'essor de la filière, sans peser sur le budget de l'Etat.

Des enjeux d'acceptabilité et un nouveau modèle à inventer

Reste que ce ralentissement dans le déploiement des méthaniseurs ne tient pas uniquement à une question d'équilibre économique, selon le SGPE, mais aussi à des enjeux d'acceptabilité. « Comme les autres moyens de production d'énergies renouvelables, la filière est confrontée à un certain nombre de recours. Ces derniers sont souvent relatifs au trafic des poids lourds [destinés à alimenter les méthaniseurs, ndlr] ou encore aux odeurs, ou aux enjeux de concurrence par rapport à l'alimentation animale et humaine », expose le secrétaire général adjoint.

GRDF reconnaît être concerné par ces enjeux d'acceptabilité, mais tend à relativiser leur impact sur le déploiement de la filière. « Cela peut constituer un frein, mais qui n'est pas aussi fort que pour d'autres activités énergétiques. Nous ne sommes pas au même niveau d'opposition que les éoliennes », assure Sabrina Dupuis. Néanmoins, ces questions d'acceptabilité pourraient prendre plus d'ampleur à l'heure où la France s'interroge sur le cap à suivre. « Vers quels types de méthaniseurs souhaite-t-on se diriger ? Où ? Il y a un vrai débat en interne », rapporte Frédérik Jobert.

S'attaquer aux abus

La France est, en effet, caractérisée par une méthanisation agricole : une très grande majorité des sites de production relève d'initiatives d'agriculteurs et non d'industriels, même si quelques projets d'envergure menés par des acteurs comme Nature Energy et TotalEnergies commencent à émerger. Résultat, tandis que sur le Vieux continent la moyenne des méthaniseurs s'établit autour de 70 GWh, elle tourne autour de 15 GWh dans l'Hexagone.

« Les gros méthaniseurs reposent souvent sur des grandes cultures, sont moins chers avec un meilleur rendement, et ont l'intérêt de limiter l'empreinte au sol ainsi que les besoins en infrastructure d'injection et de transport. Mais ils ont aussi des inconvénients comme les transports de matières et peuvent engendrer des désagréments locaux. De l'autre côté, si l'on privilégie des petits méthaniseurs, ils peuvent être plus adaptés pour certains ateliers d'élevage de taille modeste, mais peuvent revenir plus cher.  Et cela suppose, par ailleurs, de faire reposer de lourds investissements sur des exploitations qui n'ont pas forcément les plus fortes capacités financières », expose Frédérik Jobert. Enfin, la filière devra se pencher sur certains cas d'abus pour ne pas risquer d'être décrédibilisée.

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