Méthaniseurs : l'État prêt à muscler les contrôles pour enrayer les abus
Face à des suspicions d'abus dans l'utilisation de cultures dédiées à l'alimentation pour la production de biogaz, l'État entend renforcer les contrôles des méthaniseurs. Un collectif interministériel, sollicité par le ministère de l'Agriculture, a travaillé à un plan d'action commun.
L'Etat entend serrer la vis sur les conditions de production de biogaz. Selon nos informations, un collectif interministériel a été formé à la demande du ministère de l'Agriculture pour renforcer les contrôles relatifs aux intrants des méthaniseurs. Ces grandes cuves que l'on voit pousser dans les campagnes permettent de produire du gaz « vert », à partir de la fermentation de déchets organiques, et en particulier de résidus agricoles.
« L'alimentation est la priorité absolue. L'enjeu autour des contrôles est essentiel pour assurer la crédibilité de la filière de méthanisation », expose l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l'Agriculture et ex-ministre de la Transition énergétique. En France, en raison des enjeux de souveraineté alimentaire, la réglementation en vigueur stipule que ces méthaniseurs ne peuvent avoir recours qu'à 15% maximum de cultures alimentaires (céréales, oléagineux, etc.) spécialement cultivées à des usages énergétiques dans leurs approvisionnements.
« Des signaux qui laissent penser à des abus »
Or, « il y a des signaux qui nous laissent penser qu'il y a des abus », confient les membres du cabinet de la ministre déléguée. Autrement dit, que ce plafond des 15% n'est pas respecté. Dans la presse, les services de la région Normandie avaient, au printemps dernier, alerté sur le fait que des cultures de maïs se trouvaient détournées d'une destination de production alimentaire animale vers une destination énergétique. « Il y a un certain nombre de cas, reconnaît Sabrina Dupuis, déléguée stratégie chez GRDF. Mais cela reste à la marge. Nous constatons en moyenne un taux de 5 à 6%. Autrement dit, beaucoup de producteurs de biométhane ne vont pas jusqu'à ce plafond », précise-t-elle. « Ce n'est pas une généralisation, loin de là », rassure également l'entourage de la ministre. Mais, comme pour les éoliennes, il suffit qu'un projet soit mauvais pour que cela impacte toute une filière. L'enjeu est de s'assurer que la transition énergétique respecte les engagements pris », explique-t-on.
Alors que la production d'énergie peut être davantage rémunératrice que la production alimentaire, ces « limites doivent être absolument respectées », assure l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher, qui plaide pour que « ces contrôles puissent être renforcés ». Et ce, à l'heure où la filière doit changer d'échelle pour atteindre la cible très ambitieuse de 44 térawattheures (TWh) de biométhane injectés dans le réseau à l'horizon 2030, contre 9 TWh en 2023. Si une stratégie autour des enjeux de sécurité des méthaniseurs a d'ores et déjà été mise en place, ce n'est pas encore le cas pour la question des entrants admis. « Il n'y a pas d'actions coordonnées sur cette thématique », regrette le cabinet de la ministre.
Mise en demeure, amende et suspension des tarifs d'achat à l'étude
Dans les faits, même si le ministère de l'Agriculture est concerné en premier lieu par ces abus, ce n'est pas lui qui est habilité à réaliser ces contrôles. Ces derniers relèvent, en effet, des ministères de la Transition écologique et de l'Energie, chargés respectivement d'appliquer le code de l'environnement (les méthaniseurs sont soumis à la réglementation des installations classées pour la protection de l'environnement), et la directive européenne relative aux énergies renouvelables. Laquelle prévoit des critères de durabilité pour les méthaniseurs.
Dans ce contexte, le cabinet d'Agnès Pannier-Runacher a réuni les ministères concernés ainsi que le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) afin « d'établir un plan d'action commun ». Dans le cas d'abus avérés, les contrôles devraient donner lieu à des mises en demeure ainsi qu'à des amendes en cas d'inaction. Les producteurs fraudeurs pourraient aussi être sanctionnés par le retrait des tarifs d'achat de biogaz, un dispositif de soutien public qui garantit un prix de vente de la molécule dans le cadre de contrats de longue durée. La mise en œuvre de cette nouvelle stratégie reste néanmoins suspendue à la formation d'un nouveau gouvernement, qui pourra décider de reprendre, ou non, ces travaux.