Méthanisation en Normandie : ils ne sont pas convaincus par la hausse des contrôles
Paysans, associations et scientifiques ne jugent pas suffisantes les mesures de contrôles annoncées par la Région, qui reprend les dossiers de subventions à la méthanisation.
Dans un communiqué transmis à la presse, un collectif d’associations et de scientifiques (Collectif Scientifique National Méthanisation raisonnable [CSNM], Confédération Paysanne de l’Orne, Fédération de l’Orne pour la pêche et la protection du milieu aquatique, Groupement Régional des Associations de Protection de l’Environnement [GRAPE] et les associations : Sites et Monuments, Air du Perche, Bien vivre dans le Perche, Hérissons Masques de Necy et Perche Avenir Environnement) regrette la décision de la Région de reprendre l’instruction des dossiers d’aides à la méthanisation.
« Il faudrait en contrôler au moins 40 »
La décision de geler les subventions, annoncée en novembre dernier, était un geste fort adressé à l’État exigeant que ses services remplissent leurs obligations en matière de contrôle. C’est pourquoi ce dégel est un très mauvais signal : la promesse de la Préfecture étant très en dessous des obligations réglementaires, la Région vient cautionner le fait que l’État ne remplit pas son rôle de contrôleur. Pire, elle propose de s’y substituer et de financer l’engagement de sociétés privées pour le faire.
Ce groupe estime également que les contrôles seront très insuffisants : « Au rythme annoncé, chaque méthaniseur sera contrôlé une fois tous les 8 ans, alors que la réglementation établit un contrôle tous les 5 ans. Autrement dit, sur les 200 usines de méthanisation existantes, il faudrait en contrôler au moins 40 par an. À ce chiffre, il faut ajouter les contrôles supplémentaires pour les nouvelles installations, obligatoires lors de la mise en service et dans les 6 mois suivants. Or, la Région annonce 100 installations à venir ! »
La méthode, elle aussi, ne semble pas convaincre : « 25 contrôles documentaires et des inspections sur site seulement si besoin, sans expliquer comment les inspecteurs décèleront des anomalies dans les déclarations ni comment ils pourront vérifier le non-dépassement du plafond de 15 % de cultures principales ou les distinguer des cultures à vocation énergétique (CIVE), qui ne sont pas plafonnées. »
Des stratégies de contournement
Le groupe pointe des stratégies de contournement de la réglementation qui seraient bien connues dans le monde agricole.
Puisqu’une culture est considérée comme principale dès lors qu’elle est présente sur la parcelle au 1er juin, un maïs semé le 2 juin et cultivé à grand renfort d’intrants et d’irrigation sera déclaré comme CIVE et pourra approvisionner un méthaniseur sans aucune limite, en toute légalité ! En outre, les déclarations des volumes récoltés en matière brute ne sont pas contrôlables, du fait de la variabilité de rendement et de taux de matière sèche. Ainsi, pour un volume total identique, il est possible de déclarer une partie de la récolte d’une culture alimentaire comme CIVE ou comme des résidus de récolte fictifs. Le problème majeur est que la réglementation est inapplicable et difficilement contrôlable. Tant que les contrôles reposeront sur les déclarations des exploitants, il est légitime de s’interroger sur leur efficacité : qui peut contrôler des dizaines de milliers de tonnes annuelles d’intrants ? C’est impossible physiquement, sauf à installer des systèmes automatiques de reconnaissance et de pesée, comme le CSNM l’a proposé à la Cour des comptes.
Concurrence avec l’élevage
Selon le collectif, la méthanisation sera toujours en concurrence avec l’élevage, même si les 15 % de cultures principales sont respectés. « Un éleveur achetant sa nourriture animale peut cultiver des CIVE toute l’année pour nourrir son méthaniseur, sans aucune limite. Également, la réglementation n’établit aucun plafond pour l’utilisation de pulpe de betteraves ou d’herbes des prairies en méthanisation, alors qu’il s’agit de matières végétales utilisées pour nourrir le bétail. »
Associations, fédérations et scientifiques expliquent qu’il est « irresponsable » de soutenir le développement de la méthanisation avec si peu de contrôles de l’État. Un manque déjà dénoncé par la Cour des comptes.
« La Région Normandie fait un pas en arrière alors que, face à une filière qui se développe de manière anarchique, uniquement viable à grand renfort de subventions, il est nécessaire de continuer à exiger que l’État garantisse le respect et l’application effective de la réglementation. Des contrôles efficaces et en nombre suffisant sont indispensables pour la protection de l’environnement et de la biodiversité, des populations, de la souveraineté alimentaire et de l’agriculture paysanne », plaide le groupe signataire dans son communiqué.