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Les géants du gaz et du pétrole américains maquillent leurs émissions de méthane


| Atlantico | News
Les émissions de méthane liées à l’activité humaine ont atteint un record d’émissions en 2024.

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Atlantico : Les émissions de méthane liées à l’activité humaine ont atteint un record d’émissions en 2024. Quel bilan peut-on dresser du problème ? Que dire, par exemple, des émissions dont les géants américains du gaz et du pétrole se rendent responsables ?

Damien Ernst : Commençons par rappeler de quoi nous parlons : le méthane (CH₄) est un gaz à effet de serre particulièrement puissant. Il l’est, à titre de comparaison, 80 fois plus que le CO₂. Une tonne de méthane relâchée a donc le même effet, en matière de réchauffement atmosphérique, que 80 tonnes de CO₂. Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est un gaz très sérieux, auquel on prête pourtant trop peu d’attention. Nous avons tendance à nous concentrer sur les émissions liées à la combustion de matériaux fossiles comme le charbon ou le pétrole. Or, vous l’avez dit, la concentration de CH₄ dans l’atmosphère augmente considérablement. Elle va causer un réchauffement significatif de la planète.

Sans intervention humaine, au naturel donc, le méthane provient de la dégradation de la biomasse. Ce n’est pas étonnant dès lors que de constater que des zones humides en émettent énormément. Les volcans émettent également beaucoup de CH₄. La production de CH₄ liée à l’activité humaine provient principalement de la dégradation de nos déchets organiques, de l’agriculture, de l’élevage d’animaux mais aussi, et c’est important de le souligner, de l’extraction et du transport des combustibles fossiles. Et ce n’est as une surprise de noter que l’extraction et la transport de méthane est à cet égard fort problématique.

Depuis 2010-2014, la concentration de méthane dans l’atmosphère augmente de façon plus forte. C’est à cette période que l’on observe aussi l'émergence des filières du pétrole et du gaz de schiste aux États-Unis. L’un comme l’autre sont extraits de la terre après avoir fracturé de la roche de schiste. De là à supposer que ces deux filières ont joué un rôle important dans le relâchement d’une importante quantité de gaz naturel dans l’atmosphère, il n’y a qu’un pas. D’aucuns noteront peut-être que la production d’un mégawatt-heure d’électricité par une centrale au gaz CH₄ produit, dans le périmètre de la centrale, moins de CO₂ qu’une centrale au charbon ; il faut tout de même prendre en compte l’impact de la production du gaz ainsi que de son transport à la centrale. Si ce qui se passe en matière d’émissions en amont de la centrale de production d’électricité, alors on pense même que le gaz est plus problématique que le charbon.

Le problème du méthane, c’est aussi qu’il est beaucoup plus difficile de calculer avec précision ce que l’on émet par rapport aux émission de CO₂. Et ce d’autant plus que maintenant le gaz de schiste est extrait à l’aide de nombreux petits puits qui produisent de petites émanations de méthane individuellement, mais qui, à l’échelle atmosphérique, constituent une fuite importante. Cependant, parce qu'il s’agit de fuites individuellement petites, elles sont difficiles à identifier par voie satellite. Ce n’est qu’en mesurant la concentration de méthane dans l’atmosphère que l’on se rend compte de l’évolution.

À quel point peut-on reprocher cette augmentation de la concentration du méthane dans l’atmosphère aux géants de l’industrie pétrolière et du gaz américains ?

Nous l’avons dit : pour creuser un puits de pétrole ou de gaz de schiste, il faut d’abord fracturer la roche. C’est cette fracturation initiale qui produit des microfissures à travers lesquelles le méthane s’échappe. La simple création d’un puits – puisque c’est de cela que l’on parle – revient à créer une zone dans laquelle du méthane est nécessairement relâché. Or, nous l’avons déjà évoqué, le gaz est un méthane qu’il est difficile de récupérer. Les processus sur lesquels nous nous appuyons sont encore loin d’être optimaux. Certains optent donc pour le flaring, qui consiste à brûler du gaz pour éviter qu’il ne se répande dans l’atmosphère, ce qui revient simplement à générer du dioxyde de carbone plutôt que du méthane. Mais ce n’est pas autorisé partout.

Il est évident que les géants de ces industries, particulièrement en Amérique, ont tendance à masquer autant que faire se peut leurs émissions de CH₄. D’abord parce qu’il est très difficile de contrôler de telles émissions (une fuite ne laisse pas nécessairement de traces très visibles, puisqu’on parle ici d’un gaz tout à la fois incolore et inodore) mais aussi parce que cela coûte très cher de multiplier les infrastructures permettant de répondre aux normes de sécurité environnementale sur chaque petit puits installé ça et là. S’il n’y avait qu’un seul grand puits, il est probable que ces mêmes normes seraient davantage respectées. Le problème de fond, me semble-t-il, vient d’une carence de contrôle des émissions de méthane. De plus, dans les régions où celui-ci est émis en plus grande quantité (c’est-à-dire dans une Amérique somme toute assez profonde), il est probable que cela ne représente pas un problème culturellement aussi marqué. Il y a, là-bas, un réel climato-scepticisme.

Quelles sont les conséquences concrètes des rejets de méthane par les géants de l’industrie pétrolière et de l’industrie du gaz américains ?

Indéniablement, on parle ici d’un coup de poignard de plus porté à quiconque espère lutter sérieusement contre le réchauffement climatique. On pourrait même dire qu’il est porté dans le dos, puisqu’il n’y a que très eu reporting sur les fuites de CH₄, qu’il n’y a pas non plus de mesure en temps réel pour s’assurer du bon respect des normes environnementales. Il est fondamentalement très simple de masquer ses émissions de CH₄, ce qui arrange un grand nombre des géants industriels américains qui ne se soucient guère du réchauffement de l’atmosphère, de ses conséquences environnementales ou de l’impact que tout cela pourrait avoir sur la planète. De plus, les citoyens américains n’ont pas tendance à pointer du doigt leurs entreprises quand elles ne respectent pas leurs engagements (ou les normes en vigueur) en la matière. Les mouvements écologistes ont moins de poids aux États-Unis, ce qui veut dire qu’elles ne sont pas sanctionnées de la même façon que ne pourrait l’être TotalEnergies, par exemple, si elles sont prises la main dans le sac. Enfin, notons aussi que la future administration Trump veut couper dans les normes environnementales pour favoriser, justement, la production de gaz et de pétrole de schiste.
 

Les États-Unis sont-ils vraiment les seuls responsables ? Quid des autres pays ?

Bien sûr, on ne peut pas faire porter toute la charge du blâme sur les seuls géants industriels américains. Nous avons des raisons de penser que la Russie, qui se retrouve avec des surplus de gaz maintenant qu’elle n’exporte plus vers l’Europe, n’est pas nécessairement la plus précautionneuse quand il s’agit de travailler à une diminution des émissions furtives de gaz (CH₄ ou CO₂, d’ailleurs) liées à son infrastructure. D’une façon générale, j’aurais tendance à penser que la question climatique (qui paralysait tout le monde il y a cinq ans) est désormais reléguée au second plan. Il y a eu, entre-temps, la crise sanitaire, puis l’inflation, la guerre en Europe, la hausse des prix de l’énergie… Le climat et l’environnement ne figurent plus réellement au sommet des préoccupations, fût-ce en Europe ou aux États-Unis.

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