Le marché de la pulpe chamboulé
Le Betteravier Français
23 mai 2022
Les unités de déshydratation sont soumises à une explosion des coûts de l’énergie. Celles qui le peuvent se tournent vers la biomasse. Pour sortir de cette impasse, les sucreries pourraient privilégier la pulpe surpressée pour s’affranchir des prix du gaz et surfer sur l’envolée des prix de l’alimentation animale et la forte demande des méthaniseurs.
Toutes les unités de déshydratation vont-elles tourner cet automne ? Quel sera l’équilibre économique pour la pulpe en 2022 dans un contexte de flambée des énergies, de hausse des aliments pour animaux et de la montée en puissance de la méthanisation ? Autant de questions qui agitent la filière à la veille d’une campagne sans grande visibilité.Traditionnellement, un peu plus de la moitié des volumes de pulpe surpressée était déshydratée. Le reste était repris par les planteurs pour l’élevage (21 % en 2021), vendu à des éleveurs non-planteurs (17 %) et repris par des planteurs à des fins de méthanisation pour 7 % des volumes. Cette part devrait doubler cette année pour représenter 15 % des pulpes, soit entre 800 000 t et 1 Mt à 28 % de MS.
Les coûts de déshydratation explosent
L’augmentation du coût de l’énergie vient encore chambouler cet équilibre, qui commençait déjà à vaciller avec l’essor de la méthanisation (voir le BF 1136 du 2 novembre 2021).
En effet, le prix du charbon a été multiplié par 3,5 depuis un an et demi, passant de 55 €/t à plus de 270 €/t sur le marché spot. Quant au gaz, il a été multiplié par 5 sur la même période, passant d’une valeur moyenne de 20 €/MWh à plus de 100 €/Mwh sur le spot. Or, beaucoup d’usines tournent au gaz (voir carte).
Faut-il alors déshydrater les pulpes ? Si oui, quelle énergie peut-on utiliser ? Le gaz, le charbon ou la biomasse ? Chez Cristal Union, on évoque les arbitrages à faire pour réduire la consommation d’énergie, par exemple en réduisant l’activité de déshydratation (voir BF 1146 p 7). Tereos a déjà décidé de ne pas faire tourner Chevrières (voir l’interview d’Émilien Rose).
La meilleure solution serait de bénéficier de l’énergie déjà produite dans les sucreries, comme à Nangis et bientôt à Sainte-Emilie, qui prévoit la mise en service d’un nouveau sécheur en septembre 2023. Le nouveau sécheur, qui bénéficie des aides du plan de relance, sera installé directement derrière les presses à pulpes et utilisera la vapeur produite par la chaufferie au gaz de l’usine. Cette solution va permettre une baisse des émissions de 40 000 t de CO2 et une consommation d’énergie divisée par six !
La pulpe déshydratée à 300 €/t
L’équation économique de la déshydratation est délicate. Heureusement, les prix de vente des pellets sur la prochaine campagne se négocieraient autour de 300 €/t. Ils ont doublé depuis fin 2017. « À ce prix, il n’a pas de transaction importante – beaucoup d’opérateurs se retirent du marché actuellement – le marché évolue tellement vite qu’ils préfèrent attendre des prévisions de production plus précises avant d’engager des volumes importants, constate Benoît Carton, directeur de la CGB Normandie. Ce marché à la hausse permettra une valorisation de la pulpe plus importante que par le passé. Elle pourrait atteindre facilement 3 €/t, mais tout dépendra de la source énergétique de l’unité de déshydratation ».
Cependant, la valorisation de la pulpe dépend des coûts de production des outils industriels. Selon une étude de l’Association de recherche technique betteravière (ARTB), un prix de pulpe déshydratée à 280 €/t ne dégagera une compensation pulpe positive que si le gaz a été acheté 55 €/MWh. Alors à 100 €/MWh, l’équation est intenable pour les unités de déshydratation qui ne fonctionneraient qu’au gaz.
Une unité fonctionnant au charbon est un peu plus résiliente, puisqu’elle peut dégager une compensation pulpe de 3 €/t, même avec un prix du charbon à 180 €/t. Les usines utilisant du charbon auront donc des coûts moindres, sous réserve que la tonne de Co2 n’explose pas. Car cette compensation de 3 €/t sera divisée par deux si la tonne de CO2 (actuellement cotée 80 €/t) venait à doubler son prix. L’avantage des déshydratations fonctionnant au charbon est qu’elles peuvent éviter cette hausse des prix des quotas carbone en utilisant de la biomasse.
Trouver de la biomasse
Mais pourront-elles seulement en trouver et à quel prix ? Cela dépendra beaucoup de l’offre locale. « Il n’est pas facile de trouver de la ressource, la déshydratation est en concurrence avec d’autres industries et surtout des chaufferies pour les immeubles collectifs », constate Thomas Lavenu, directeur de l’Usine Coopérative de Déshydratation du Vexin (UCDV), située à Saussay-la-Campagne (Eure), qui déshydrate les pulpes de la sucrerie Saint Louis Sucre d’Étrépagny. L’UCDV fait actuellement des essais de chaudières avec 100 % de biomasse. « En 2020, l’usine a tourné avec 23 % de biomasse brûlée sur lit de charbon. En 2021, nous sommes passés à 46 % de biomasse, essentiellement du miscanthus, des anas de lin et des plaquettes forestières. L’objectif est de monter ce taux à 75 % cette année ». Cette montée en puissance de la biomasse était déjà prévue en raison de la baisse des quotas CO2 gratuits alloués à l’usine dans le cadre du système d’échange de quotas d’émission CO2 (ETS), explique le directeur de l’UCDV.
La pulpe surpressée très convoitée
L’autre solution est de ne pas déshydrater les pulpes. Il faudra alors trouver des débouchés en pulpe surpressée – la demande des méthaniseurs est forte – et surtout organiser la logistique pour évacuer les pulpes des sucreries tous les jours au cours de la campagne. « Il ne faut pas sous-estimer les difficultés d’organisation pour évacuer la pulpe surpressée à destination des méthaniseurs et des élevages, met en garde Thomas Lavenu. À l’UCDV, nous sommes organisés pour sortir 2 200 tonnes de pulpe chaque jour de la sucrerie d’Étrépagny ».
Il faudra aussi convaincre les éleveurs de payer plus cher. Historiquement, la tonne de pulpe surpressée était vendue autour de 20 €. Mais, à un prix du maïs autour de 265 €/t, qui est le produit de substitution dans les rations, elle pourrait être vendue à 40 €/t à 28 % de MS. Les éleveurs pourront-ils accepter ce niveau de prix ? Cela permettrait en tout cas de verser une compensation pulpe d’environ 5 €/t de betteraves, absolument nécessaire pour des planteurs confrontés à l’explosion des charges (fioul, engrais en augmentation de 15 à 20 %).
Selon Timothé Masson, directeur du département économique de la CGB « une pulpe à 40 €/t est un prix justifié pour des utilisateurs non-planteurs de betteraves au regard de la hausse des coûts et du prix de l’ensemble des fourrages. Une enveloppe de 489 millions d’euros ciblée sur l’alimentation animale va être mobilisée dans le cadre du plan de résilience présenté le 16 mars dernier par le gouvernement. Avec cet argent les éleveurs devraient pouvoir acheter la pulpe au prix du marché, et il est indispensable qu’un éleveur utilisateur de pulpe (engraisseur, éleveur laitier) en bénéficie, car il ne faudrait pas brader la pulpe. Ce n’est pas aux planteurs seuls de soutenir les éleveurs mais aux pouvoirs publics. L’équation économique betteravière reste fragile. »
Alors faut-il envoyer la pulpe en déshydratation ? La vendre surpressée en alimentation animale ou pour la méthanisation ? Et dans ce cas, la pulpe est-elle un résidu ou un coproduit ? Décidément, la pulpe restera toujours un sujet très politique !