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La méthanisation, bonne ou mauvaise affaire pour l’État et pour le climat ?


| Ouest France | News
Daniel Chateigner, professeur à l’université de Caen-Normandie, est physicien cristallographe et chercheur au laboratoire de cristallographie et sciences des matériaux du CNRS. Il est aussi membre du Collectif scientifique national méthanisation raisonnable.

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L’engouement pour la méthanisation, depuis 2010, a aussi provoqué une levée de boucliers d’un collectif de scientifiques, parmi lesquels Daniel Chateigner. Pour lui, du point de vue environnemental, rien ne va dans ce pseudo-gaz vert.

Dans un contexte de fort développement de la filière méthanisation en France et alors que l’État favorise le rachat du biogaz, certains scientifiques posent la question de la pertinence de ce choix. Le biogaz procure une énergie renouvelable qui sert à faire de l’électricité ou de la chaleur (c’est la cogénération). Ou qui est injectée directement dans les réseaux de gaz sous forme de biométhane. Détour par une controverse.

Pas rentable, le gaz vert ?

Comme on le comprend à travers l’histoire d’Agripower (entreprise de Carquefou spécialisée dans les solutions de méthanisation), en 2025, en matière de méthanisation industrielle, c’est la manne de l’État qui fait la pluie et le beau temps du business. Pourtant, relève Daniel Chateigner, professeur de l’université de Caen-Normandie, « la méthanisation est très peu efficace ».

Ce physicien cristallographe, chercheur au laboratoire de cristallographie et sciences des matériaux du CNRS, également membre du Collectif scientifique national méthanisation raisonnable (CSNM), a fait le calcul suivant : « Entre un hectare de maïs cultivé pour la méthanisation et un hectare de panneaux solaires, c’est au bas mot cent fois moins d’énergie délivrée. Financièrement, ça n’est pas viable. D’ailleurs, une cinquantaine d’unités liées à la méthanisation ont déposé le bilan ces trois dernières années. »

Le CSNM a compté : derrière chaque emploi direct dans la construction des méthaniseurs, en France, il y a au moins un million d’euros de subvention publique. « Avec ça, il y a largement de quoi aider ceux qui font vraiment l’agriculture qui nous nourrit. Ou de quoi isoler les passoires thermiques. Sans compter le rachat du biogaz par l’État (150 € le mégawattheure) et toutes les autres subventions, pour un truc qui ne sert à rien. » La Cour des comptes, qui vient de rendre un rapport critique sur la question, souligne aussi « le calibrage imparfait » des aides de l’État vers la méthanisation.

Pas bon pour l’atmosphère, le méthane ?

Ce biogaz fabriqué à partir de déchets animaux ou végétaux a beau être qualifié de vert, il n’en est pas moins du gaz. Du méthane, en l’occurrence, un puissant gaz à effet de serre. Une molécule de biométhane, évaluée sur une période de vingt ans, est 86 fois plus délétère pour l’atmosphère que le CO2, pointe Daniel Chateigner. Problème d’autant plus important « qu’il y a énormément de fuites dans le réseau de GRDF et cela est inévitable ». Ce volume de méthane, dit-il aussi, n’existait pas avant les méthaniseurs. Il vient donc s’ajouter, pas se substituer, à la pollution ambiante.

Très gourmand en terre, le biogaz ?

Pour que les gros méthaniseurs à injection soient suffisamment productifs, il faut qu’ils soient nourris avec des céréales, explique Daniel Chateigner : « Du maïs, souvent. Le fumier, le lisier, les effluents d’élevage, contiennent très peu de méthane, ça n’est pas rentable. Les gros méthaniseurs n’en veulent pas. Certaines unités de méthanisation, celles des grands groupes comme TotalEnergies ou Engie, ne fonctionnent qu’avec des Cives (cultures intermédiaires à valorisation énergétique). Ces hectares de végétaux récoltés au printemps, avant la culture principale, épuisent les sols. »

Le risque, pointe encore le CSNM, c’est que les agriculteurs ne cultivent plus que cela, parce que ça rapporte plus, au détriment de l’alimentation humaine ou de l’élevage. Le rapport de la Cour des comptes dit aussi que les Cives constituent le « principal gisement pour la méthanisation à long terme ».Et s’inquiète notamment des effets sur les cultures alimentaires. « Ça n’est pas éthique de donner à manger à un méthaniseur de la sorte, s’indigne Daniel Chateigner. En France, en ce moment, on utilise la surface agricole utilisée d’un département en hectares cultivés pour cela. Et il faudrait multiplier par cinq avant 2030 ? »

En prime, ajoute-t-il, à Rungis comme sur d’autres places de marchés de petites communes, désormais, « les invendus qui étaient récupérés pour les plus précaires vont désormais dans ces unités de traitement. Faut-il vraiment s’en réjouir ? »

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