La baisse de la consommation de gaz va se poursuivre à un rythme soutenu
La crise de l'énergie a accéléré la baisse de consommation du gaz en France , et ce n'est pas terminé. Sur la période allant d'août 2022 à mai 2024, la chute a atteint 22 % dans l'Hexagone, comparé à la moyenne des cinq années précédentes, selon les chiffres de la Commission européenne . Et, d'ici à 2035, la filière estime que la consommation baissera encore de près de 30 % en France, passant de 399 TWh en 2023 à 282 TWh en 2035, selon les estimations de GRDF, GRTgaz et Teréga publiées ce jeudi.
Cette trajectoire s'inscrirait dans les objectifs européens fixés par le plan Fit for 55 de baisse des émissions de gaz à effet de serre de 55 % à 2030. Dans le détail, la baisse devrait être la plus forte dans le résidentiel (-34 % en 2035 par rapport à 2023), dans la consommation de gaz nécessaire à produire de l'électricité (-38 %) et dans le tertiaire.
Les bureaux et bâtiments publics pourraient même voir leur consommation de gaz chuter de 42 % d'ici à 2035, sous l'effet de l'électrification et de la rénovation énergétique. La demande devrait, en revanche, rester solide dans l'industrie : les gestionnaires des réseaux de distribution et de transport estiment que la consommation industrielle devrait reculer de 25 % au cours des douze prochaines années. « Nous avons pris des hypothèses réalistes, voire conservatrices », affirme Dominique Mockly, le patron de Teréga.
Trois quarts des infrastructures à l'arrêt ?
Plusieurs facteurs pourraient encore faire varier la demande, surtout à la hausse. En particulier le développement des énergies renouvelables et des capacités de production nucléaire. Si les objectifs ne sont pas atteints dans ce domaine, GRDF, GRTgaz et Teréga estiment que la consommation de gaz pourrait être plus élevée de 16 TWh en 2030, à 337 TWh.
Le succès de la relocalisation industrielle pourrait aussi entraîner un surplus de consommation de 12 TWh, un ralentissement de l'électrification dans l'industrie pourrait avoir un effet à la hausse de 8 TWh. Le retard dans le développement de l'hydrogène bas carbone ou celui dans le rythme de la rénovation des bâtiments pourraient aussi freiner la baisse de consommation de gaz.
La baisse de la consommation interroge, dans un contexte où l'Europe s'est réarmée en matière d'infrastructures gazières, en particulier avec de nouveaux terminaux d'importation de gaz naturel liquéfié. Un rapport de l'Institute for Energy Economics and Financial Analysis (IEEFA), sorti ce jeudi, indique que la demande européenne de GNL s'est repliée de 20 % sur la première moitié de l'année et que le taux d'utilisation des terminaux de GNL est descendu sous les 50 %. Selon l'IEEFA, les trois quarts des capacités européennes d'importation pourraient être inutilisées en 2030. Certains nouveaux projets seraient d'ailleurs à l'arrêt.
Pour la filière, les infrastructures ont joué leur rôle pendant la crise. Et leur reconversion est à l'étude. Un projet de terminal de liquéfaction est à l'étude sur le site d'Elengy de Montoir-de-Bretagne. Et des réflexions sont lancées autour d'un terminal d'importation d'ammoniac bas carbone à Fos-sur-Mer, sur le terminal de Fos-Tonkin. En Allemagne, la plupart des nouveaux terminaux pourraient être convertis à l'hydrogène.
Surtout, la plupart des infrastructures pourront être utilisées sans investissement majeur pour accueillir les gaz renouvelables et bas carbone. La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a estimé la note de l'adaptation des réseaux de gaz entre 6 et 9,7 milliards d'euros d'ici à 2050.
Car, selon les prévisions de la filière, la baisse de la consommation s'accompagnera d'une montée en puissance des gaz renouvelables et bas carbone. Ceux-ci devraient représenter 40 à 45 % de la consommation en 2035 et 100 % en 2050.
La biomasse en question
Ces objectifs nécessiteront une forte accélération entre 2030 et 2035. Durant cet intervalle, la production de biométhane devra être quasiment doublée. Ce qui pose de nouveau la question de la disponibilité de la biomasse. Durant l'été, le Secrétariat général à la planification écologique a émis des doutes sur les objectifs de production de biométhane, arguant une forte pression sur la biomasse.
L'association Solagro de promotion des produits agricoles a, elle, validé la trajectoire de la filière : avec la biomasse disponible et sans concurrence avec les autres usages (alimentation, stockage de carbone, fertilité des sols…), il serait possible de générer 350 TWh de bioénergie en 2050 dont 160 TWh de biométhane.
« Nous avons des points de désaccord. D'abord, il y a plusieurs biomasses. S'il peut y avoir des tensions sur la filière forestière, nous utilisons aussi des matières agricoles, des déchets. Plusieurs potentiels s'additionnent », répond Laurence Poirier-Dietz, directrice générale de GRDF, pour qui il faut aussi différencier le potentiel et la mobilisation réelle. Tout dépendra, alors, des investissements et de la volonté de mobiliser ce potentiel.